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Immersion au sein d’une réception d’hôpital

Reportage aux côtés de ces femmes et de ces hommes qui, bien plus que d’assurer une multitude de tâches administratives, sont souvent les premiers à qui les patients vont se confier.

Les premiers rayons gagnent, peu à peu, l’immense hall d’entrée de l’hôpital d’Yverdon-les-Bains. Il est un peu moins de 6 heures, ce lundi matin, et alors que l’imposant plafonnier, ersatz de soleil manifestement dopé au carotène, cède gentiment sa place à une lumière plus naturelle, dans ce même hall débute l’étrange chorégraphie de cette machine à nettoyer les sols, assourdissante. À l’intérieur de la demi-lune de verre, manière de tour de contrôle au coeur de laquelle, jour après jour, oeuvrent les réceptionnistes, l’écho des plaintes de cet étrange « monstre polisseur » vient mettre un terme à la sérénité qui, une fois n’est pas coutume, a prévalu durant la nuit qui s’achève.

Santiano

Au pied du grand escalier en colimaçon qui mène aux urgences pédiatriques, qui conduit au soulagement, un petit bonhomme chantonne, avec plus ou moins de justesse, cet air connu qui relate les aventures d’un fameux trois-mâts fin comme un oiseau. « C’est l’un des aspects de ce métier que je préfère », lance alors la réceptionniste qui, seule durant cette nuit de Brandons, a assuré la multitude de tâches qui incombent à son poste – notamment l’accueil des patients, la permanence téléphonique, les admissions, la création des dossiers d’hospitalisation d’urgence, la gestion du parking, la gestion des alarmes et des pannes techniques ainsi qu’un peu de saisie de données administratives pour tuer le temps, au cas où. Difficile, en effet, de ne pas se sentir soudain débordé d’un étrange mélange de soulagement et de joie à la vision de ce jeune matelot qui, il y a quelques heures à peine, passait la porte tambour de l’Hôpital d’Yverdon-les-Bains recroquevillé dans les bras de sa mère, le souffle court, les yeux embués et le moral aux tréfonds.

Ce que je préfère de ce métier : voir les gens repartir en allant mieux.

« Oui, c’est vraiment l’un des aspects que je préfère de ce métier : voir les gens repartir en allant mieux », répète la réceptionniste. Tant que, nous aussi, nous finirons d’ailleurs par nous prendre au jeu, empathie oblige – l’une des qualités sine qua non de l’accomplissement du rôle de réceptionniste. Difficile, en effet, de ne pas se soucier de ce qu’il advient de tous ces patients que l’on accompagne dans leur entrée, mais quasi jamais dans leur sortie.

Les abeilles

Il est 7 heures, nous sommes lundi matin et, en semaine, c’est généralement à cette heure que la métamorphose opère, que le papillon de nuit qui a accompagné les patients dès leurs premiers pas à l’intérieur de l’hôpital – parfois, en amont, au téléphone – laisse alors sa place à ses collègues qui, dès lors, vont plus s’apparenter à des abeilles dans une ruche, sensation provoquée non seulement par la masse des tâches à effectuer que trahissent, dans le moindre recoin jadis disponible, les diverses listes de procédures, de numéros et autres mémos affichés çà et là, mais également par l’espace restreint au sein duquel elles devront être menées.

Imaginer un peu : dans quelques mètres carrés, entre câbles informatiques, imprimantes, postes de téléphone et classeurs, jusqu’à six personnes qui se croisent, se décroisent, afin d’assurer les missions précitées auxquelles s’ajoutent, entre autres, les prises de rendez-vous, les recherches d’adresses et d’identités erronées ou non connues, la collecte d’informations auprès des assureurs, la gestion du contentieux avec les patients sans assurance ou venant de l’étranger, la gestion et l’encaissement de certaines prestations hôtelières, les transferts entre établissements, l’enregistrement des naissances, la préparation des constats de décès et, dans ce triste cas, l’organisation des contacts avec les familles et les pompes funèbres, la distribution, la préparation et l’affranchissement des courriers… Et encore, la liste est loin d’être exhaustive. Bref, suffisamment, pour, de temps à autre, faire bourdonner la tête de nos braves abeilles. Et puis ces patients, pas toujours agréables, pas forcément en état de l’être qui, parfois, pression supplémentaire, s’accumulent derrière la grande baie vitrée. Et puis, sans cesse, ce téléphone qui sonne. « Établissements hospitaliers du Nord vaudois, la réception, bonjour ! » Une fois. Dix fois. Des centaines de fois. Dans ce cas-là, une dame qui cherchait à joindre le restaurant du stade municipal. Mais règle numéro un : ne jamais perdre son calme, toujours, si possible, garder le sourire. Ainsi donc, les heures s’enchaînent à un rythme effréné. Les admissions se suivent. Alors, après quelques heures, un tournus salvateur est organisé. De l’accueil on passe aux appels. Des appels à la saisie de données. Histoire de varier. Histoire d’éviter de saturer.

La première cigarette

Et puis, soudain, à l’extérieur de l’hôpital, sérieux, à la queue leu leu, cette dizaine de têtes blondes qui défilent avec ce talent de nous rappeler que, déjà, l’heure de la fin de l’école s’apprête à sonner et que, pour nous aussi, la journée ne va pas tarder à s’achever. Étrange alors que cette sensation de trop que l’on ressent. Tellement de sollicitations, tellement de questions, tellement de bruits, tellement d’impatiences. Cette unique envie, comme rarement, de se retrouver, un instant, seul. Dans le silence. Une fringale de paix qui n’a d’égale que la tension quasi permanente à laquelle sont soumises ces premières lignes.

Ces collaboratrices et collaborateurs sont avant tout les oreilles et les yeux de l’hôpital.

Alors, de loin, une dernière fois, observer les abeilles dans leur ruche qui n’en finissent plus de s’agiter et, déjà, savoir que pour elles la fin de notre journée rime avec le début d’une seconde. Que, souvent, c’est lorsqu’il a le temps d’y songer, son travail achevé, que le citoyen lambda se découvre le besoin de venir consulter. Une ultime fois regarder leurs sourires s’allumer parce que quelqu’un les a salués, parce qu’un patient sur le départ a pris le temps de les remercier ou que, d’un simple regard, l’une d’elles a compris que c’est bien sa première cigarette en tant que père que ce jeune homme ahuri est sur le point d'allumer. Les faits étant ceux-ci : s’il n’était qu’une confirmation à retenir de ces quelques heures passées à la réception de l’Hôpital d’Yverdon, elle serait que bien plus que celui d’exécuter, chaque jour, vingtquatre heures sur vingt-quatre, des tâches pas toujours gratifiantes et souvent répétitives, ses collaboratrices et collaborateurs sont avant tout les oreilles et les yeux de l’hôpital. Les premiers à qui l’on confie son malheur, les premiers, aussi, à qui on adresse ses plaintes. En somme, une responsabilité colossale. Car, après tout, ne dit-on pas que tout se joue dans le premier regard ?

Texte : Raphaël Muriset
Photographie : Nadine Jacquet