Hmag -
Une cellule de soutien psychologique pour le personnel
Entretien avec le Dr Giorgio Maccaferri, médecin psychiatre responsable de la psychiatrie de liaison et de la cellule psychologique Covid-19 Nord-Broye VD, et Joëlle Villars, répondante infirmière en psychiatrie de liaison aux eHnv.
Afin de prévenir les réactions de stress et les comportements à risque des professionnels de la santé, la filière de Psychiatrie de liaison et Urgences-crise de la région Nord (DP-CHUV, SPANO) ont ouvert, en collaboration avec les eHnv, l'HIB et le Réseau Santé Nord Broye (RSNB), une consultation de soutien psychologique à l’ensemble du personnel.
Alors que la pandémie de Covid-19 dure depuis bientôt une année, ce dispositif a pour vocation de soutenir les collaboratrices et les collaborateurs dans ces moments particulièrement difficiles et déstabilisants, que ce soit dans le cadre de la prise en charge des patients, des relations avec leur famille ou de l’impact de la nouvelle organisation du travail. La cellule accueille le ressenti et le vécu des collaborateurs, en leur offrant un espace de parole et d’écoute sécures et privilégiés dans le but de préserver leur bien-être physique et mental.
Comment cette cellule psychologique a-t-elle été créée ?
Dr Maccaferri : La cellule est née aux eHnv, dans un esprit collaboratif. Nous avons été contactés en mars 2020 par la direction générale et le département des ressources humaines afin de monter un dispositif institutionnel pour offrir un soutien psychologique aux équipes. Un nouveau partenariat a depuis été créé avec le Réseau Santé Nord Broye (RSNB) et la cellule est aujourd’hui ouverte à l’ensemble des structures de soins du Nord vaudois et de la Broye.
Joëlle Villars, infirmière, le Dr Giorgio Maccaferri, médecin psychiatre, Fanny Mock, infirmière et la Dre Roua Alina Solomon, cheffe de clinique adjointe, se mobilisent pour offrir aux membres du personnel une écoute et un soutien psychologique.
Comment se déroule cette consultation ?
Joëlle Villars : Lorsqu’un collaborateur s’adresse à nous par le biais de la ligne téléphonique, une infirmière en psychiatrie de liaison écoute la personne afin de comprendre son besoin et cibler le type d’intervention le plus adapté. L’entretien téléphonique peut déboucher sur une voire plusieurs rencontres en individuel. Parfois, les signaux d’alerte (détresse psychologique importante) sont très présents, dans ce cas, nous orientons le collaborateur vers notre réseau de santé partenaire. Lorsqu’il est difficile d’atteindre les collaborateurs, absorbés par la demande du terrain, nous trouvons des créneaux horaires adaptés pour passer du temps avec eux dans leurs unités.
Conjointement à ce type de rencontre, nous organisons en collaboration avec les infirmier-ère-s chef-fe-s de service des supervisions d’équipe menées par deux collaborateurs de notre unité de psychiatrie de liaison, par exemple dans des unités dédiées à l’accueil des patients atteints de la Covid-19.
Dr Maccaferri : On considère qu’une crise au travail, spécialement en temps Covid-19, n’est jamais seulement l’affaire de l’employeur ou du collaborateur mais dépend aussi du contexte au sens large. Nous analysons alors la situation ensemble et outillons les personnes pour qu’elles trouvent les bonnes stratégies pour faire face à leurs difficultés. Nous ne prenons parti ni pour l’institution ni pour le collaborateur, car nous ne sommes pas dans une optique de médiation RH mais de soutien psychologique.
Quelles différences avez-vous pu observer entre la première et la deuxième vague ?
Dr Maccaferri : La crainte d’être infecté a vraiment prédominé lors de la première vague. La peur de l’inconnu, du manque de matériel, un état d’alerte permanent qui était extrêmement déstabilisant et anxiogène. Au cours de cette deuxième vague, nous sommes témoins de thématiques plus complexes. Le virus est cette fois bien identifié et connu et circule davantage, mais le plus grand problème vient de la fatigue pandémique : un état d’épuisement, avec un sentiment de ras-le-bol doublé d’une vague de négativisme et de perte d’espoir face à l’avenir.
Le sentiment de solidarité a diminué de la part de la population. Des soignants, considérés il y a quelques mois comme des héros nationaux, ont commencé à être stigmatisés. Tout cela a un impact psychologique profond sur le personnel. À cela s’ajoutent la surcharge de travail, la contamination d’une partie des collaborateurs, les vacances qui n’ont pas été prises, etc.
Joëlle Villars, infirmière en psychiatrie de liaison, en consultation avec une collaboratrice.
Quelles sont les raisons principales pour lesquelles les collaborateurs vous sollicitent ?
Joëlle Villars : Les demandes individuelles partent souvent d’un épisode clinique : un accompagnement de fin de vie par exemple, ou une discussion pouvant être électrique autour d’un patient. Le collaborateur confronté à un cas courant va avoir une réaction différente, plus forte que d’habitude. Avec la fatigue, l’usure, les précautions sanitaires, la limitation des visites et des contacts, il faut se réinventer pour maintenir la qualité de soins. Par exemple, aux soins palliatifs d’Orbe, le contact avec les familles, qui est considéré comme une ressource intégrée dans la prise en charge globale du patient, est aujourd’hui limité.
Dr Maccaferri : Le soignant est sous stress avec le risque permanent d’infection et la surcharge liée à la spécificité de la prise en charge Covid. C’est un travail qui est connu pour un intensiviste mais dont la fréquence et la densité sont inhabituelles. Il y a aussi les autres patients à gérer, leur état d’anxiété ainsi que le stress des familles.
Joëlle Villars : Nous voyons aussi une forme de paradoxe dans la notion de solidarité d’équipe, fréquemment évoquée lors des entretiens individuels ou des supervisions d’équipe. Ce soutien mutuel est d’un côté une force, mais il y a en parallèle une sursollicitation, par exemple à travers les groupes de discussions informelles, ne permettant pas aux collaborateurs de pouvoir couper le lien avec leur travail, pour se retrouver dans leur vie privée.
Fanny Mock, infirmière en psychiatrie de liaison, répond aux appels reçus sur le numéro de la cellule de soutien.
Que diriez-vous à une personne qui éprouve des difficultés dans sa vie professionnelle (ou privée) et qui hésite à demander de l’aide ?
Dr Maccaferri : Je lui dirais tout d’abord : « prenez soin de vous » : c’est l’outil premier pour prendre soin des autres. Il y a différents signaux d’alerte comme l’irritabilité, la peur, l’altération du sommeil, le désinvestissement ou au contraire le surinvestissement professionnel, qui aident à comprendre qu’il est temps de s’arrêter et agir.
Joëlle Villars : Cette consultation est un espace privilégié pour le collaborateur, où la confidentialité est respectée. Elle ne s’adresse pas uniquement aux soignants mais à l’ensemble du personnel. Et bien que la cellule soit ouverte dans un contexte d’épidémie, tout peut être abordé lors de ces rencontres.
Et la suite ?
Joëlle Villars : Il est important pour nous d’atteindre aussi les « oubliés ». Je pense par exemple aux centres d’analyse qui ont triplé leur charge de travail, ou encore l'intendance qui a dû se réinventer au sein même des soins, en cette période. Quand au secteur administratif, plusieurs collaborateurs ont expérimenté le télétravail, bien que protecteur, mais également désécurisant au vue de la perte du contact social et physique entre collègues. Les possibles effets délétères de ces modifications de pratiques ne doivent pas être négligés.
Dr Maccaferri : Il faut être à la fois réservé et optimiste. Nous faisons des prévisions sur un phénomène collectif complètement nouveau et ne connaissons pas encore l’impact psychologique sur le long terme. Ce que vivent la population, le personnel sanitaire et les politiques sont tous trois différents, ce qui est susceptible de créer des conflits internes de valeurs et de positionnement. Je prends l’exemple d’un frontalier qui travaille dans notre pays, avec des règles en vigueur, et qui, à la fin de sa journée, rentre dans le régime de son propre pays. C’est difficile à porter. D’un autre côté, je suis persuadé que les ressources personnelles et institutionnelles vont nous permettre de surmonter cette crise pour le personnel. J’ai beaucoup d’espoir dans la résilience collective !
Le Docteur Giorgio Maccaferri, médecin psychiatre, est responsable de la Cellule psychologique Covid-19 Nord-Broye VD.
Répondants de la psychiatrie de liaison
Pour les eHnv :
079 556 32 85
Pour le HIB :
079 556 92 89